“Toutes les choses pleines de souvenirs dégagent un rêve qui nous enivre et nous fait flâner longtemps…” (Victor Hugo)
Traduit par Prof. Carmen Margan
Le rêve américain de Dumitru Sinu est devenu réalité plusieurs années après son départ de Roumanie. De longs pèlerinages, en commençant par les camps des réfugiés de Yougoslavie et d’Italie, ensuite l’aventure française, qui a eu son impact le plus puissant, le Canada avec ses leçons de vie et ensuite les États-Unis ont réuni dans son âme des souvenirs que les ailes du temps n’ont jamais réussi à effacer. Il raconte tous ces souvenirs avec plaisir si on a l’occasion de lui en parler. Moi, chaque fois que j’ai eu le privilège de l’écouter, j’ai eu le sentiment d’être le spectateur fidèle en train de regarder un feuilleton inédit, le feuilleton d’une vie tumultueuse où la réalité, l’aventure et l’esprit s’harmonisaient parfaitement.
J’ai eu mes raisons d’utiliser la phrase de Victor Hugo en guise de sous-titre, car tout ce que je vais révéler ici est dû au souvenir, un souvenir sans égal resté dans l’âme de mon ami sur un endroit, sur un pays qui avait été pour la plupart de sa vie de réfugié sa seconde patrie : la France!
Il a toujours invoqué les bons temps passés en France dans ses conversations avec ses amis et les personnes qu’il connaissait. En plus, il a eu la chance extraordinaire de connaître tant de gens interressants, de jouir de la présence de quelques personalités culturelles connues, de nourir son esprit selon les caprices de son âme, ce qui rendait le téméraire octogénaire vraiment chanceux encore une fois.
Le voilà aux États-Unis, marié à une femme distinguée d’origine française, avec une fille superbe née à Montréal et un fils né à Los Angeles, tout ça pour achever son rêve et pourtant, souvent, dans les conversations avec ses amis, (ses amitiés avaient toujours été nombreuses et de qualité), Dumitru Sinu vivait avec la nostalgie des années passées en France, particulièrement à Paris, la ville unique au monde, de son point de vue et de beaucoup d’autres qui ont goûté pleinement à sa générosité.
L’idée de revenir en France se précisait petit à petit. Il désirait tant que le pays de Voltaire ouvrît les horizons de la connaissance à ses enfants et que ceux-ci eût la chance de bien apprendre le français et de découvrir la culture du peuple français justement en France. Animé par de nobles intentions, avec de beaux souvenirs dans son âme et sans trop réflechir à d’autres aspects qui auraient pu mettre enéévidence les eventuelles inconveniences de cette nouvelle aventure, mon vieux Miticã prend un jour sa famille et part pour Paris.
Miticã, tu n’es pas venu en France, tu as quitté l’Amérique!
Le retour à Paris lui a donné l’occasion de revoir ses chers amis et d’inspirer paisiblement le parfum des souvenirs…Il y avait joui de la présence, du soin et de l’amitié de la famille Bunescu, il avait participé à de nombreuses actions culturelles où il avait entendu les voix de quelques intellectuels importants, écrivains et philosophes de la diaspora et d’autres encore. Tous les acquis du passé dont il se souvenait toujours avec plaisir, lui avaient été très utiles dans son expérience ultérieure canadiano-américaine, experiences qu’ il gardait comme des trésors.
La rencontre avec Cornel Crişan, l’un de ses amis avec lequel il a passé la frontière Serbe, va changer son chemin, en attirant son attention sur Saint Gervais, la localité que son ami lui avait conseillé de choisir et où il allait rester pendant huit ans avec sa femme et ses deux enfants.
Quand ils se sont revus, Cornel s’est réjoui mais il n’a pas hésité de lui demander étonné: “Mais qu’est-ce que tu as fait, Miticã?” “Je suis revenu en France!” a t il répondu. “Miticã, tu n’es pas venu en France, tu as quitté l’Amérique!”- a répliqué Crişan d’un ton affirmatif, pareil à un professeur qui annonçait d’une manière inébranlable une vérité absolue, poussant son étudiant vers la réflexion.
“C’est une grande chose que de quitter l’Amérique” m’expliquait cette fois Miticã. “L’Amérique, c’est l’Amérique! Si tu vas dans n’importe quel pays du monde et tu demandes aux gens où ils voudraient habiter, la plupart vont te dire en Amérique! Je n’ai pas quitté l’Amérique si facilement!” Pourtant il a renoncé, mais pas pour toujours, il a accompli son désir d’éduquer ses enfants à l’esprit de la culture française, et encore de revoir la France et les gens merveilleux qu’il a rencontré là-bas.
Saint Gervais: un nouveau commencement?
Cornel Crişan avait fini ses études universitaires en France et à cet époque était ingénieur à Paris. Il était content que Miticã soit revenu et il lui a conseillé de rester à Saint Gervais, une superbe petite station, nichée au coeur des Alpes, au pied du Mont Blanc, où l’ on peut entendre les voix des trois civilisations voisines: la France, la Suisse et l’Italie. Rapidemment, Cornel va suivre Miticã et va déménager à Saint Gervais avec sa femme et leurs cinq garcons.
Village coquet, aux bâtiments construits dans le style architectural particulier du début du XXe siècle, avec de petites rues pavées propres et un air de bourg Suisse, le tout ayant l’ arome du parfum français et la gaité propre aux italiens du voisinage, la petite ville des Alpes a été particulièrement accueillante avec Dumitru Sinu et sa famille.
Dès son arrivée à Saint Gervais, la chance sourit à mon vieux Miticã: la première personne qu’ il rencontra était un citoyen français qui se trouvait devant sa maison et…fauchait l’herbe. Poussé par la nostalgie des étés de chez lui, à Sebesul de Sus, quand il allait faucher avec sa famille, Miticã s’est approché du Français, et lui demanda la permission d’écouter sa faux. Avec une précision formidable et un plaisir qu’il n’avait plus senti depuis longtemps, il ondoya la pierre à aiguiser sur le tranchant qui allait couper le soupir de l’herbe, tout en continuant à discuter avec le Français resté bouche-bée: il n’avait jamais vu quelqu’un aiguiser une faux sans au moins regarder le tranchant d’acier. Ensuite il lui a demandé la permission de faucher et en la maniant avec beaucoup de finesse, il a vite gagné la sympathie et l’amitié du vieillard.
En lui confiant qu’il désirait s’établir à Saint Gervais avec sa femme et ses deux enfants, mon vieux Miticã reçoit sur place l’invitation d’habiter dans la maison du Français. Il s’y installa et resta huit ans. “ Je ne payais que 200 dolars par mois”- dit Miticã. Toute cette période il s’est très bien entendu avec le Français qui dînait tous les jours avec eux; Madame Nicole cuisinait très bien, c’etait un vrai cordon-bleu.
Le propriétaire était un veritable communiste et disait à Dumitru Sinu: “nous sommes des communistes depuis longtemps! Nous avons créé la Chambres des Communes!” Mon ami l’écoutait sans le contredire, (trés diplomate !), et après quelques années il lui offrit en cadeau une excursion en Russie. Le Français en est revenue déçu; il avait voulu voir comment vivaient les ouvriers soviétiques et l’image qu’il avait sur le communisme semblait pâlir. Il avait raconté beaucoup de choses à Miticã. Chaque histoire avait une ombre qui couvrait petit à petit ce qu’il avait idéalisé. Sympathique et aimable, le Français récompensa Miticã pour son cadeau (l’excursion en Russie) avec un cadeau inédit: un pot de caviar.
“Je veux que mes héritiers apprennent la langue de Voltaire!”
Pour legaliser sa presence en France, dès son installation à Saint Gervais, Dumitru Sinu contacta les autorités locales. Il sollicita auprès de la mairie un visa. “Pourquoi voulez-vous habiter ici “? fut la question méfiante du maire de Saint Gervais. “Je désire que mes héritiers apprennent la langue de Voltaire. Notre séjour ici vous rend un grand service!” répliqua du tac au tac le Roumain . Le maire, un homme drôle, n’a pas hésité à plaisanter: Il y a quelqu’un ici qui balaye…il s’appelle Voltaire! Et il le montra du doigt à Miticã à travers la fenêtre. Mais il a été aimable, approuva leur demande de visa, et ensuite, durant tout leur séjour à Saint Gervais, leur facilita chaque année, l’obtention dudit visa, en évitant de les faire aller à Paris.
A Saint Gervais, les habitants étaient plus accueillants qu’à Paris. Ils se connaissaient tous, et une fois leur sympathie gagnée, on était l’un d’eux. La plupart des gens avaient des propriétés à la montagne et à la plaine aussi. Ils coupaient du bois, travaillaient beaucoup, mais savaient se distraire aussi et, Dieu merci, il avaient les moyens de le faire!
Saint Gervais : une oasis de calme, fraîcheur et tranquilité!
Tout au long de l’année, dans la ville touristique de Saint Gervais arrivaient beaucoup de visiteurs qui, en hiver, jouissaient du privillège de skier ou patiner, et, en été, profitaient pleinement de l’air frais de la montagne et de la possibilité de pratiquer en pleine liberté l’alpinisme ou d’autres sports extrêmes.
La proximité du Mont Blanc, (le plus haut sommet des Alpes et de l’Europe avec une altitude de 4810 m.,) et l’emplacement de la ville à une altitude de 850 m., offrait à ses visiteurs des opportunités illimitées de repos et de pratique des sports blancs, sur les pistes aménagées pour le ski. Ce milieu était à peu près familier à mon vieux Miticã car il était né au pied de la montagne et avait vécu la première partie de sa vie dans son village natal, situé presqu’à la même altitude que celle de cette petite ville où il s’était installé en pleine maturité.
Des bâtiments élégants d’où parviennent les chuchotements d’une époque pleine de charme et romantisme, des rues où l’on rencontre tous les jours des gens aux visages sereins, le panorama inégalable du Mont Blanc et les beautés montagneuses des alentours, produisait pour cette ville-station une fascination spéciale. Paradis blanc en hiver, véritable paysage féérique, avec des forêts séculaires et des prés fleuris en été, ce coin de paradis semble délivrer l’homme des ténèbres des pensées et le transposer dans un monde pure, tranquille, patriarcal, qui semble avoir été créé par Dieu justement pour purifier l’âme et l’esprit.
St Gervais aujourd’hui est connue comme étant l’une des station préférée des célébrité (acteurs, écrivains, hommes politiques): c’ est un endroit parfait pour les vacances puisqu’ elle offre des activités ludiques et sportives multiples, remplissant toutes les conditions pour la nommer la perle des Alpes. Les pistes de ski et les patinoires, les installations de transport câblé qui lient les stations de cette région, le snowparc aménagé, attirent en hiver de nombreux touristes qui certainement reviennent en été jouir des beautés du site et des possibilités de loisirs qui abondent partout. L’eau termale utilisée à des fins médicales puis esthétique depuis plus de 200 ans, les dizaines de sentiers de montagne et les endroits non atteints par la civilisation (où l’on oublie qu’on vit dans le siècle de la vitesse, en se retrouvant dans l’ondoiement des fleurs ou le chant des dizaines d’espèces d’oiseaux qui vivent dans les forêts), des terrains de golf ou de tennis, des manèges, la possibilité de pratiquer des sports extrêmes) tout ça fait partie des merveilles offertes par la ville de Saint Gervais d’aujourd’hui, ville qui a adopté pendant huit ans mon vieux Miticã…Ce n’est pas une petite ville isolée de la civilisation, au contraire, elle se trouve à une heure de l’aéroport de Genève, et au pied de la montagne les trains a grande vitesse s’arrêtent en gare du Fayet.
A cause de son esprit toujours vif, n’importe où il se trouve, Dumitru Sinu trouve chaque fois quelque chose qui raisonne avec son milieu; c’est ce qu’il a fait à Saint Gervais, en jouant avec les mots il a composé un court poème amusant au sujet de la passion pour les sports d’hiver: “Ah! Qu’il fait bon patiner/ Si tu savais qu’il fait bon/ J’aimerais toujours patiner/ Jamais étudier/ Ah! Qu’il fait bon patiner!”. Après avoir réfléchi ensuite aux implications sur le choix entre les études ou leur renoncement en faveur des distractions, le poème continue: “ Ah! Qu’il fait bon près du tableau noir/ Savoir toutes les bonnes réponses/ On te donne un 8 en te disant: va à ta place / Ça va mal près du tableau noir/ Quand on ne sait pas les réponses/ On te donne un 3 et on te giffle/ Ça va mal près du tableau noir!”. C’était lorsque ses enfants avaient déjà commencé à étudier en France.
Il n’y avait pas beaucoup d’immigrants à Saint Gervais. Mon vieux Miticã ne se rappelle que d’un Australien et d’un Anglais qui vivaient là-bas. Ils se connaissaient tous, c’était une petite communauté, tranquille, armonieuse et il était impossible de ne pas observer chaque nouvelle personne arrivée à Saint Gervais.
Quelques Roumains de valeur au pied des Alpes
Saint Gervais était aussi la ville d’adoption pour d’autres familles roumaines. Après l’arrivée de Dumitru Sinu, ce fut Cornel Crişan qui le suivit, celui qui lui avait indiqué cet endroit. La femme de Cornel était française, née à Paris; ils avaient cinq beaux garcons, un mariage heureux mais parfois, quand il entendait Madame Nicole Sinu parler roumain très aisément, il grondait son épouse en lui montrant la femme de Miticã: Mais elle, comment a- -t elle appris le roumain?, car sa Française ne savait que quelques mots en roumain. Malheureusement, Madame Crişan est morte assez jeune…
Cornel Crişan était un brillant ingénieur chimiste. Grâce à ses brevets d’invention il est devenu très connu dans le monde de la science parce qu’il a réussi à breveter quelques types de médicaments. Il a reçu une bonne pension de l’État français. Mon vieux Miticã se souvient qu’il recevait environ 5000 francs, ce qui était beaucoup! Il est mort il y a peu de temps, là-bas, à Saint Gervais, la ville des souvenirs de mon vieux Miticã…
Il n’a jamais pu oublier ces gens, parce qu’ils étaient tous d’une qualité irréprochable, il les a toujours aimés et estimés.
Comment est-il possible d’oublier une personne comme Vasile Ţâra, originaire de la ville de Bistrita et qui aimait tant les livres, comme je vous l’ai déjà exliqué dans un précédent chapitre? Excelent en classe, licencié à la Sorbonne, il travaillait dans l’enseignement et jouissait d’une reconnaissance spéciale de la part de la société culturelle française. Il était marié à une femme asiatique, dans les veines de laquelle coulait le sang bleu d’une dynastie de la lointaine Indochine. Ils ont toujours entretenu des relations d’amitié. N’oublions pas le fait que Vasile lui avait envoyé le croquis du passage de la frontière française, quant il se trouvait encore en Italie. Et voilà comment, après de nombreuses années, le destin permet leur rencontre à Saint Gervais.
Un autre cher ami dont Dumitru Sinu se souvient avec plaisir est l’architecte roumain Elian. Neveu de l’illustre Gheorghe Tătărăscu, ex-premier ministre de la Roumanie d’entre les deux guerres mondiales, Elian a été le plus heureux quand mon vieux Miticã est venu à Saint Gervais. Ils se rencontraient presque chaque jour et il n’oubliait jamais de lui dire: Mon vieux Miticã, je suis tellement heureux de te voir ici, car je ne parle plus roumain avec personne!
Un homme beau, grand, costaud et très intelligent, Elian était marié et il avait deux enfants: un garçon et une fille. Sa femme non plus n’était pas roumaine. Mon vieux Miticã ne se rappelle plus son pays d’origine, l’Estonie ou un autre petit pays du continent, mais il sait qu’elle avait étudié à la faculté de médecine de Roumanie et avait à Saint Gervais son propre cabinet médical. Madame Eliane est morte elle aussi, assez jeune, tout comme la femme de Cornel Crişan. Le fameux architecte vit encore aujourd’hui et Sandra, la fille de mon vieux Miticã lui rend souvent visite pour ainsi continuer ce que son père avait commencé longtemps auparavant, à savoir converser avec Elian dans la langue douce d’Eminescu.
Au diner avec la famille Tătărăscu
Mon vieux Miticã se trouvait encore dans la station de Saint Gervais, quand la mère d’Elian visita son fils. Madame Elian était l’une des soeurs de Gheorghe Tătărăscu.
Le libéral Tătărăs a eu des fonctions importantes dans les gouvernements de la Roumanie d’entre les deux guerres mondiales, à plusieurs reprises: premier-ministre de janvier 1934 à décembre 1937 puis de novembre 1939 à juillet 1940 et ministre des affaires étrangères d’ octobre 1934 à février 1938 et encore de 29 mars 1938 à décembre 1947.
Gheorghe Tătărăscu venait d’une famille de boyards de la region de Gorj. Il a étudié le droit et l’économie à Paris, et a eu une activité politique prodigieuse. On peut dire beaucoup de choses sur cette personnalité, sur laquelle beaucoup d’entre vous avez certainement lu, son nom étant resté écrit en majuscules dans l’histoire du peuple…En 1950, il y avait 11 membres de la famille Tătărăscu dans les prisons communistes: Gheorghe Tătărăscu et ses quatre frères, Sandra – la fille du haut fonctionnaire, trois cousins et deux tantes de l’homme politique roumain. Ces deux dernières n’ont pas resistées et se sont suicidées pendant leur détention. A Paris, où le frère de Sanda Tătărăscu étudiait le droit, un autre malheur est arrivé: après avoir entendu que son père avait été arrêté, le fils de Tătărăscu a eu une crise de schizophrénie. Il est mort en 1969, dans un asile Parisien…
Mon vieux Miticã, le voilà maintenant à table avec la soeur d’une illustre personnalité de la Roumanie d’entre les deux guerres mondiales, la mère de l’architecte Elian. Les membres de la famille Sinu étaient invités souvent à dîner chez Elian et ils passaient ensemble beaucoup de temps. Madame Elian, très distinguée, délicate, éduquée et très amicale était fascinée par les histoires de vie de refugié de mon vieux Miticã et lui disait souvent: “Vous avez eu une vie si palpitante, personne ne l’ a écrite?”
Mon vieux Miticã avait souvent dit à Vasile Ţâra, qui était souvent présent aux rencontres avec la famille Elian, “Moi, je t’ai dit de commencer à écrire quelque chose! “mais il répondait avec le même calme impassible : “Miticã, moi aussi je t’ai dit que ceux qui écrivent sont plus nombreux que ceux qui lisent.”
Est-ce que c’est Madame Eliane qui a stimulé mon vieux Miticã à rassembler ses souvenirs dans ses notes? A part d’autres choses, l’intérêt de cette dame cultivée pour la connaissance de sa vie de réfugié l’a convaincu qu’un jour il allait écrire ses souvenirs dans un livre.
Parfois, mon vieux Miticã invitait Madame Elian à la promenade car il avait beaucoup de temps libre et lui parlait indéfiniment des secrets, joies et pièges de l’exil, des gens et des endroits, de l’histoire et la culture. A son tour, il était étonné par la culture vaste de Madame Eliane et par la facilité avec laquelle elle parlait le français et l’allemand. Sa curiosité impétueuse l’a poussé un jour à lui demander comment elle avait réussi cette performance ? “Mon ambition a été de parler aussi bien qu’eux !” a été la réponse simple et claire de la dame distinguée. Madame Elian n’est pas restée longtemps à Saint Gervais, elle a déménagé chez sa fille qui habitait Paris.
“Tout le monde s’embrasse à Saint Gervais!”
Un cadre familial s’est instauré à Saint Gervais car ils se connaissaient tous. “Nicole embrassait toutes les femmes quand on entrait dans un magasin. Je devais attendre jusqu’à ce qu’elle les embrassait toutes, en France tout le monde s’embrasse”- me clarifie tout en riant mon vieux Miticã. C’était une communauté qui vivait en pleine harmonie et dans une ambiance amicale.
Les Roumains de Saint Gervais et Miticã dînaient souvent avec le maire, le chef policier, les médecins et les professeurs. “Les policiers étaient aimables, il n’y avait pas de problèmes dans les villages”, soutenait Miticã et les intellectuels étaient unis. Il y avait des amis français aussi, et, bien qu’il adorât parler avec des personnes intelligentes, cultivés, Dumitru Sinu ne faisait pas de discrimination: s’il était à table avec des hommes politiques, des intellectuels connus ou toute autre personnalité et apparaissait un homme simple qu’il connaissait, il n’hésitait pas à l’inviter à leur table et le traitait avec respect en le faisant se sentir aussi important que les autres. Mais il avait quatre amis français, un médecin, un journaliste et un professeur avec lesquels il aimait sortir et rester des heures dans un café, en abordant des thèmes vastes et variés de sa vie, de la politique, de la culture ou de tout autre domaine.
Quand mon vieux Miticã entrait dans un restaurant tout le monde se levait, y compris les pesonnes âgées- “Comme chez nous dans les villages!”- précise Miticã Sinu. Il se rappelle qu’une fois un de ses amis des Etats-Unis, Aurel Lungu est venu en visite à Saint Gervais. Celui-ci fut très étonné par l’intégration de mon vieux Miticã là-bas et lui a demandé: Mais comment est-il possible que tous ces gens te connaissent? Simplement: il a toujours su être agréable, respecter et c’est pourquoi il a toujours été respecté, il a aimé les livres et leur auteurs et il a partagé la joie de la connaissance avec ses amis.
Parce que j’ai réussi à très bien connaître Dumitru Sinu, je ne pose pas de telles questions, parce que sa manière d’être est unique, et il est impossible que quelqu’un qui le connaît ne l’aime pas.
Les fêtes traditionnelles françaises et réligieuses constituaient d’autre occasion pour un plus grand rapprochement des habitants de la ville de Saint Gervais. Ils savaient se distraire d’une manière originale, ils chantaient tous, dansaient, s’embrassaient tous en sortant dans les rues.
Parce que Saint Gervais est près de la frontière de la Suisse, mon vieux Miticã emmenait sa famille assez souvent dans le pays des cantons et ses enfants adoraient les hamburgers suisses! “ Ils étaient plus chers mais ils étaient très bons!”- m’expliquait mon vieux MIticã en souriant.
“Viendra un temps où l’on boira du champagne chaque jour!”
La vie de la famille Sinu n’a pas été toujours heureuse. Il y a eu aussi des périodes difficiles quand ils ont dû se soutenir l’un l’autre, avoir de la patience et de l’espoir pour des temps meilleurs. Mon vieux Miticã se rappelle que durant les périodes difficiles il avait promis à Nicole que viendrait le jour où ils pourront boire du champagne tous les jours! A Saint Gervais le rêve des deux époux qui ont traversé des périodes difficiles et des périodes de prospérité, semblait devenir réalité.
Un jour, Madame Nicole fut surprise par son mari qui lui apporta 14 bouteilles de champagne. Il avait tenu sa promesse et durant 7 jours ils ont bu du champagne chaque jour. Le temps promis à sa chère femme est venu et les voilà avec leurs enfants jouir d’une vie plus sûre, plus tranquille et meilleure. Mais, après les premieres sept bouteilles de champagne, ils ont decidé de garder les autres et les ont savourées, une par une, quand ils recevaient la visite d’ amis chers. Ils étaient heureux à Saint Gervais, ils étaient vraiment heureux!
“L’Amérique, c’est l’Amérique!”
Le contact avec les Étas-Unis n’a jamais été interrompu par Dumitru Sinu durant tout son séjour à Saint Gervais: il y revenait pout acquitter ses taxes à l’État américain. Il y avait une affaire qui devait être managée et surveillée et il devait surtout remplir les déclarations d’impôts sur le revenu au début de chaque année, pour l’année précédente.
Bien que Saint Gervais ait constitué pour lui et sa famille une période de vie merveilleuse, avec des souvenirs inoubliables, un endroit où il s’ est senti à l’aise, où il a eu des amis d’élite qui l’ont apprécié et aimé, il parraît que l’Amérique, la force qui y attire des gens du monde entier, y compris des États avec un puissant moteur de développement économique, l’ont determiné à revenir au Nouveau Monde. “L’Amérique, c’est l’Amérique!” c’est l’endroit qui l’a toujours attiré, où il a vu son rêve s’accomplir dès son arrivée.
Après huit ans à Saint Gervais, mon vieux Miticã décide de revenir aux États- Unis. Il s’établit cette fois à Reno, Nevada. Quitter Saint Gervais n’a pas été facile, parce que Sandra et Nicolae sont restés là-bas pour finir leurs études, mais il a pris cette décision sans hésiter. L’Amérique lui manquait et il ne pouvait pas ne pas répondre à ce désir de son âme. Nicole est revenue aux États-Unis après quelques années, après avoir fini ses études au lycée, et Sandra s’est mariée avec un Français et est restée là-bas.
Des enfants qui reussissent, des parents contents…. une famille heureuse!
Sandra et Philippe, son mari, habitent aujourd’hui encore à Saint Gervais. Ils ont deux enfants, un garçon et une fille. Ils visitent périodiquement leurs parents, mais ce sont les petits-enfants qui arrivent le plus souvent à Phoenix. Mon vieux Miticã en est fier et très content, surtout parce qu’ il les voit satisfaits et qu’ils n’oublient aucun instant leur racines roumaines.
Philippe est le propriétaire d’une compagnie de façonnements métaliques où l’on réalise d’une manière très artistique des objets de menuiserie, des objets pour l’intérieur, des palissades, des balustrades, des accessoires ornamentaux pour l’intérieur ou l’extérieur, le tout exécuté d’une manière speciale, qui les distinguent des autres produits similaires de Saint Gervais et des alentours. Mon vieux Miticã me parlait des outillages performants que son beau-fils avait acquis et de la qualité élévé de son travail. Il est content et fier en même temps de savoir sa fille à l’ abris et heureuse à côté de son mari qui l’aime. Et pour que la satisfaction et la joie de Dumitru Sinu soient plus grandes, Sandra et Philippe ont racheté la maison paternelle à Sebeş, la ville roumaine de son enfance. Ils l’ont renovée, équipée avec tout ce qui est necessaire pout être une maison confortable, pour se sentir à l’aise et ils vont chaque année en Roumanie. Leurs enfants aiment la montagne, adorent les sentiers des alentours du village de Sebesul de Sus, en réussissant à parcourir les tracés des montagnes Suru et Negoiu, mais aussi ont-ils parcouru une grande partie des montagnes Fãgãraş.
Les petits-enfants nés et élevés à Saint Gervais, mais aussi avec cette petite partie-là de sang roumain qui coulait dans leurs veines, sont arrêtés dans les rues du village par des autochtones qui leur disent: “Je sais qui vous êtes! Voue êtes de la famille du vieux Niculiţã!” (le grand-père de mon vieux Miticã)
Ils ne savent que quelques mots de roumain mais ils ont une forte relation avec Sebeşul de Sus; c’est ici que leur grand-père est né et par eux, par leur présence ici, chaque année, avec l’amour pour les gens et les lieux, le coeur de mon vieux Miticã sera toujours chez lui et va battre à la roumaine.
“Tout ce que l’homme possède n’a plus de valeur à un certain moment”- me disait mon vieux Miticã, en faisant reference à la période de Saint Gervais! Les années passées dans cette ville ont eu leur charme, les enfants se sont formés dans les écoles françaises, comme il l’ avait désiré, il a été heureux, tranquil, il a eu des amis, mais il avait commencé à en avoir assez et est alors revenu aux États-Unis. Cela avait été bien, mais la vie de la famille Sinu devait suivre une nouvelle trajectoire.
Plein de vie comme d’habitude, mon vieux Miticã me disait en souriant à la fin de cette rencontre: “On ne peut pas tout avoir, car il est impossible de faire face!”
Octavian D. Curpaş
Phoenix, Arziona
Juillet, 2012